Effets des politiques gouvernementales et des idéologies politiques sur l’acceptation des vaccins : COVID-19 et au-delà
Noni E MacDonald, Eve Dube, Janice Graham
Noni E MacDonald1, Ève Dubé2, Janice Graham1
1. Department of Pediatrics, Dalhousie University, IWK Health Centre, Halifax, Nova Scotia
2. Institut National de Santé Publique du Québec and Université Laval, Québec, Québec
En 2019, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) insistait sur l’importance d’aborder l’hésitation vaccinale, qui était selon elle l’un des dix principaux ennemis de la santé dans le monde1. Dans une note de breffage d’avril 2021, Promouvoir l’acceptation des vaccins contre la COVID-19 au Canada, la Société royale du Canada préconise l’abandon du concept d’« hésitation » (ou de « réticence »), principalement axé sur l’individu, au profit du terme collectif plus général d’« acceptation ». « L’acceptation » tient compte du contexte élargi des politiques et programmes gouvernementaux et des idéologies politiques qui peuvent entraver ou favoriser l’accès aux vaccins et influencer les convictions, les attitudes et les comportements individuels et collectifs à l’égard de l’immunisation2.
La complexité du vaste éventail de questions sociales, politiques et biomédicales en interaction avec les politiques gouvernementales et les idéologies politiques influe sur la décision d’accepter ou non un vaccin et constitue de ce fait un « problème pernicieux3 ». Au cours de la dernière décennie, plusieurs cadres et modèles ont été proposés pour grouper ces facteurs afin de mieux comprendre le concept d’acceptation des vaccins et d’harmoniser les stratégies possibles pour aborder ce problème pernicieux. Le modèle initial des 3 C – confiance, complaisance et commodité4 – élaboré en 2014 a évolué vers le modèle des 5 C en 2018 avec le remplacement de la notion de commodité par celle de contraintes et l’ajout des notions de communauté et de calcul5. À l’inverse, le modèle des 5 A de 2016 a élargi le périmètre des facteurs influençant l’adoption des vaccins en mettant l’accent sur l’accès, l’abordabilité, la sensibilisation (awareness), l’acceptation et l’activation6. Plus près de nous, le groupe d’experts de l’OMS sur les moteurs comportementaux et sociaux de la vaccination (BeSD) s’est focalisé sur les moteurs de l’acceptation des vaccins dans quatre domaines : ce que pensent les gens, les processus sociaux, les motivations et les facteurs pratiques7.
Deux aspects contestés qui ne sont ni soulignés, ni mentionnés dans ces cadres sont les politiques provinciales et territoriales (lois, règlements, politiques), ainsi que les idéologies gouvernementales et la politique partisane à l’échelle nationale, provinciale et municipale (l’influence exercée sur les politiques, l’action ou l’inaction face aux problèmes) susceptibles d’influencer l’accès aux vaccins et les convictions et les choix des citoyens en matière vaccinale. Le cadre d’acceptation des vaccins publié en 2021 par la Société royale du Canada présente explicitement les politiques, les programmes, les pratiques et le débat politique relatifs au système de santé aux paliers fédéral, provincial, territorial et autochtone comme étant des facteurs d’intégration qui influencent l’acceptation des vaccins (fig. 1)8.
Figure 1: Cadre d’acceptation des vaccins de la Société royale du Canada : facteurs influençant l’acceptation des vaccins
La pandémie de COVID-19 a attiré l’attention sur le rôle joué par les politiques gouvernementales et les idéologies politiques dans l’élaboration des politiques de vaccination intérieures et supranationales, dont la disponibilité des vaccins9, la mise en œuvre des programmes et l’influence des politiques sur l’acceptation et l’adoption de la vaccination à l’échelle individuelle et collective.
Dans les communautés, l’expérience vécue des politiques gouvernementales héritées du passé influe sur l’acceptation des vaccins dans les groupes méritant l’équité, par exemple chez les personnes autochtones, LGBTQ2S+, racisées, enceintes, immunodéprimées et handicapées10. La classe politique a réagi de diverses façons devant la réticence de certaines communautés à accepter l’immunisation contre la COVID-19, que ce soit en les négligeant11,12 ou, à l’inverse, en leur offrant une aide structurelle (financière, stratégique, législative) pour élaborer des programmes adaptés à leurs besoins particuliers13. Certaines communautés ont mené des programmes spécifiques par elles-mêmes, en l’absence de toute assistance politique ou gouvernementale14.
De nombreux programmes ont été couronnés de succès, mais il a quand même été difficile d’accroître l’acceptation des vaccins dans certaines communautés. Au Québec par exemple, plus de 70 % des adolescents de 12 ans et plus avaient reçu une première dose de vaccin contre la COVID 19 en juin 2021, mais les adolescents de certaines communautés n’étaient pas encore vaccinés15. Chez les Inuits du Nunavik, la méfiance envers les autorités régnait toujours malgré le travail d’approche intensif ayant été mené16. Dans les autres cas semblables, les faibles taux de vaccination doivent être interprétés non seulement comme une affaire de valeurs, d’attitudes et de connaissances individuelles, mais comme la conséquence de plusieurs siècles de racisme systémique et de rapports de force inégaux avec les gouvernements coloniaux17. Ces positionnements intersectionnels (politiques historiques et actuelles, pratiques, lois et débat politique) doivent être pris en compte dans l’élaboration de stratégies de santé publique pour aborder la réticence à accepter les vaccins. Il est donc essentiel de créer des programmes en collaboration avec les communautés pour gagner leur confiance et établir des relations équitables avec elles.
Outre les politiques et programmes gouvernementaux, les idéologies politiques ont, elles aussi, des répercussions sur l’acceptation des vaccins. Les influences idéologiques sont particulièrement apparentes aux États-Unis, où les taux de vaccination sont très influencés par la politique partisane18. Avec un peu plus de 50 % des Américains ayant reçu une dose de vaccin19 après un sommet de 3,4 millions de vaccinations par jour atteint en avril 2021, l’acceptation des vaccins est retombée à moins d’un million par jour au début de juin 2021, et les taux variaient de plus de 70 % à moins de 35 % de personnes immunisées dans certains États20. Le cas du Vermont par exemple, avec un taux de vaccination nettement supérieur à 70 % et des appuis solides aux vaccins contre la COVID-19, toutes allégeances politiques confondues, jette un éclairage possible sur l’importance d’un objectif de santé publique commun21. Par contre, la vaccination était moins bien adoptée et acceptée au Mississippi, un État où moins de 35 % de la population était vaccinée et où il existe un lien bien établi avec les habitudes de vote22. Comme dans l’exemple du Nunavik, de plus faibles taux d’acceptation des vaccins ont été relevés dans certaines communautés ethniques et racisées aux États-Unis, ce qui pourrait être lié aux problèmes sous-jacents des iniquités historiques et systémiques et donc de la méfiance23.
Pour élaborer des programmes adaptés aux communautés du Canada, il est essentiel de reconnaître les effets actuels des politiques gouvernementales présentes et passées et des idéologies politiques sur l’accès aux vaccins (tant ceux contre la COVID-19 que la vaccination de routine) et sur leur livraison et leur acceptation. Il est difficile d’aborder les problèmes structurels, car les gouvernements provinciaux et territoriaux financent la santé publique par les accords de transfert fédéraux, et les autorités de santé publique n’ont qu’un faible pouvoir d’influence direct sur les politiques ou sur les décisions stratégiques de « ne rien faire ». En conséquence, pour changer de cap et aborder l’acceptation et l’adoption des vaccins de manière proactive et préventive, il faut d’abord reconnaître que les politiques gouvernementales et les idéologies politiques ont des répercussions sur la confiance envers les vaccins, puis il faut qu’un large éventail d’acteurs fasse un effort concerté pour aplanir les difficultés et les obstacles créés par ces facteurs. Par exemple, la santé publique, les universitaires, les organisations non gouvernementales, la société civile et certains groupes d’intérêts publics-privés doivent insister sur des stratégies éprouvées pour améliorer l’acceptation des vaccins dans les communautés méritant l’équité et dans la population générale. Les médias doivent être un canal d’acheminement des meilleures données probantes et dénoncer vigoureusement les politiques sans fondement scientifique et l’inaction. Enfin, les militants associatifs et les têtes dirigeantes de la société civile doivent exiger et mettre de l’avant des programmes adaptés aux besoins de leurs communautés24.
Les leçons des politiques gouvernementales et des idéologies politiques durant la pandémie de COVID-19 et du déploiement des vaccins contre la COVID-19 aideront, on l’espère, le Canada et les autres pays à offrir de meilleurs programmes de santé courante et d’immunisation de routine. Les gouvernements canadiens ont fait de grands progrès pour aborder les iniquités et supprimer les obstacles systémiques aux vaccins au moyen de programmes et de lois, mais ces initiatives doivent être multidimensionnelles et menées sur plusieurs fronts, avec une collaboration plus importante des communautés à leur création. Des niveaux de salaire minimum supérieurs au seuil de pauvreté, des congés de maladie pour les personnes occupant des emplois à temps partiel et à bas salaire et le démantèlement des obstacles empreints de préjugés culturels à l’accès aux soins de santé et aux vaccins ne sont que quelques-unes des questions qu’il faut aborder sans plus attendre. La COVID-19 n’est pas encore maîtrisée, et une meilleure acceptation des vaccins dans tous les groupes est nécessaire au Canada et dans le reste du monde. Le recours à des modèles simplifiés à outrance tend à produire des stratégies simplistes. En élaborant les programmes de vaccination de routine et contre la COVID-19, il faut garder à l’esprit la complexité illustrée dans le cadre d’acceptation des vaccins de la Société royale du Canada pour encourager et appuyer l’acceptation des vaccins partout au pays et à tout âge. Le débat politique et les politiques gouvernementales influencent bel et bien l’acceptation des vaccins; nous ne pouvons plus l’ignorer.
Références :
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