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« Bouchées », « collations » et « repas » : pour communiquer l’information sur la COVID-19 et les vaccins contre la COVID-19

Noni MacDonald and Eve Dubé


Noni E MacDonald1 and Eve Dubé2

Avec les masques, la distanciation sociale et le lavage des mains, les vaccins contre la COVID-19 constituent un élément essentiel de la stratégie sanitaire de lutte contre la pandémie en cours (1). L’acceptation des vaccins contre la COVID-19 est toutefois influencée par de nombreux facteurs contextuels encore plus complexes que pour les vaccins classiques ou même pour les campagnes de vaccination contre la grippe pandémique A(H1N1) (2). Les attentes du public à l’égard des vaccins contre la COVID-19 sont très élevées, par exemple. Pour compliquer encore les choses, une multitude de vaccins contre la COVID-19 ont été mis au point sur différentes plateformes et homologués selon une procédure accélérée. Leurs taux d’efficacité potentielle et d’efficacité varient aussi, bien que ce ne soit pas toujours facile à discerner, car les critères d’évaluation des essais vaccinaux diffèrent. L’accès équitable aux vaccins et le risque d’effets secondaires suivant l'immunisation sont des motifs de préoccupation dans tous les pays, pour diverses populations cibles et pour tous les âges. Le mouvement antivaccins, qui met en doute l’innocuité des vaccins et leur efficacité en présence des mutations de la COVID-19, inquiète aussi (3). Ces questions d’intérêt public génèrent beaucoup d’anxiété et de stress vu l’ampleur des effets de la pandémie sur la santé, le bien-être et l’économie—mondialement, localement et personnellement.

L’infodémie (c.-à-d. la surabondance d’informations, exactes ou pas, tant en ligne que hors ligne) qui prolifère au sujet de la COVID-19 est une source de stress et de confusion supplémentaire pour la population, les professionnels de santé et les responsables des politiques (4). En mai 2020, l’Assemblée mondiale de la santé a adopté une résolution centrée sur l’infodémie pour gérer la pandémie de COVID 19. Cette résolution appelle les États membres à fournir des informations fiables sur la COVID 19, à prendre des mesures pour combattre la mésinformation (les imprécisions non intentionnelles) et la désinformation (les informations délibérément fausses ou trompeuses) et à tirer parti des technologies numériques pour tous les aspects de la riposte. Elle appelle aussi les organisations internationales à agir face aux informations fausses ou trompeuses dans la sphère numérique et pour prévenir les actes de cybermalveillance qui sapent l’action de santé publique, et à fournir un appui pour que des données scientifiquement fondées soient communiquées au public. Un « guide pratique pour la gestion des fausses informations sur les vaccins » publié par l’UNICEF en décembre 2020 souligne la différence entre la mésinformation (les informations fausses, mais qui n’ont pas été créées dans le but de causer du tort) et la désinformation (les informations fausses délibérément créées pour causer du tort) (5). La désinformation est créée et disséminée soit dans un but lucratif, soit pour tromper intentionnellement le public afin d’obtenir un gain politique, du prestige ou de l’attention. Mais surtout, la mésinformation et la désinformation « collent », et elles voyagent plus vite et plus loin que la vérité (6). Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), les gouvernements et les plateformes d’information peuvent prendre quatre grandes mesures pour agir face à la désinformation qui circule au sujet de la COVID 19 : 1) soutenir une multiplicité d’organismes indépendants de vérification des faits; 2) mettre en place des modérateurs humains en complément des solutions technologiques; 3) publier volontairement des rapports de transparence au sujet de la désinformation sur la COVID-19; et 4) améliorer l’éducation aux médias, la culture numérique et la littératie en santé des utilisateurs. Ce dernier aspect est particulièrement important pour les travailleurs de la santé et les personnes qu’ils conseillent. 

Pourquoi tombons-nous dans les filets de la mésinformation/désinformation? 

La prise de décisions en matière de santé, dont celles d’accepter ou non les vaccins, est une opération complexe; le contexte a son importance, tout comme le vaccin dont il s’agit (7). Des facteurs sociaux, culturels, historiques et politiques influencent nos sentiments et nos décisions face à la vaccination. Nous sommes aussi très influencés par les actions de notre entourage (dont les membres de nos réseaux sociaux, où la désinformation abonde) et par ce que nous croyons être les attentes à notre égard. Nous voyons des liens de cause à effet dans de simples coïncidences, et souvent pour nous, croire c’est voir – et non l’inverse; les gens préfèrent les anecdotes et les histoires aux données et aux preuves, et ils accordent plus d’importance aux informations négatives. C’est pourquoi les problèmes d’innocuité et la méfiance envers les vaccins sont particulièrement visibles avec la pandémie de COVID-19, qui offre un terreau idéal à la propagation de la mésinformation, de la désinformation et des théories du complot, trois phénomènes qui tendent à émerger durant les crises sociétales, car celles-ci font augmenter le stress, le sentiment d’incertitude et l’inquiétude pour l’avenir (8). 

Comment pouvons-nous surmonter la mésinformation/désinformation au Canada?

Dans le guide COVID-19 Vaccine Communication Handbook, il est indiqué que pour atteindre un niveau élevé d’acceptation des vaccins contre la COVID-19, il faut mener des interventions adaptées au contexte et guidées par les données pour modifier les comportements, et travailler à un grand nombre de niveaux, en ciblant les communications à l’aide de messages, d’outils et de techniques pour joindre des sous-groupes particuliers (9). À l’échelle locale, pour être efficaces, les communications sur la COVID 19 et les vaccins contre la COVID-19 doivent être proactives, pas seulement réactives, et elles doivent prêter attention aux reportages journalistiques traditionnels et aux médias sociaux pour déceler la mésinformation à corriger. 

L’analogie des « bouchées », « collations » et « repas » s’avère pratique pour communiquer l’information sous différentes formes. Certaines personnes ne veulent qu’un énoncé ou une phrase claire sur l’essentiel de ce qu’il faut faire (une « bouchée » d’information), d’autres veulent plus de détails dans un court paragraphe (une « collation » d’information) – et d’autres encore veulent des articles complets avec des liens vers les preuves à l’appui des principaux points (un « repas » d’information). Pour le « repas », il est utile d’inclure des liens vers des sites factuels dignes de foi et vérifiés, comme ceux qui affichent la désignation Vaccine Safety Net [un organisme de l’OMS]. En préparant nos communications, il faut nous rappeler le principe de marketing qui veut que « les faits parlent, mais les histoires font vendre ». Avec l’évolution rapide du paysage de la COVID-19, il est essentiel de lier le message au contexte local et de le faire livrer ou commenter par des élites locales connues afin d’en renforcer la crédibilité et l’adhérence. 

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Source: Association canadienne de santé publique (ACSP), 2021

En ce qui concerne la mésinformation, il n’est pas contre-productif de la corriger. Une étude récente montre que l’effet contre-productif n’est pas aussi stable que l’on pensait, et qu’il importe, en fait, de corriger la mésinformation (10). De plus, selon les données de plusieurs études, il est possible d’inculquer au public et aux patients une attitude de résistance à la mésinformation en faisant ressortir préventivement les allégations fallacieuses, en réfutant les contre-arguments possibles et en démasquant les techniques couramment utilisées (faux experts, complots, sélectivité, attentes impossibles, erreurs de logique et assertions trompeuses – autrement dit, les mensonges) (11) (12) (13). Le Royaume-Uni a financé le développement de trois jeux sur navigateur, Bad News, Bad News Junior, and Go Viral, et l’accès en ligne à ces jeux; ils enseignent aux joueurs comment devenir des créateurs de désinformation et renforcent au passage leur capacité de détecter la désinformation et d’y résister (c.-à-d. d’éviter l’arnaque) (14). Au Canada It’s Contagious!, It’s Infectious!, and Know It Or Not! sont des expériences éducatives par le jeu mises au point par l’organisation sans but lucratif Digital Public Sphere pour permettre aux gens d’évaluer leurs connaissances de la mésinformation courante sur la COVID-19 et les vaccins. Si nous voulons que la nouvelle génération appuie les programmes d’immunisation, il est très important de renforcer l’esprit critique et la culture scientifique des enfants et des adolescents pour qu’ils soient capables de reconnaître la mésinformation et qu’ils comprennent le rôle essentiel des vaccins pour la santé et le bien-être. Kids Boost Immunity un site Web bilingue créé au Canada (et utilisé depuis en Irlande et en Écosse), propose des leçons et des jeux-questionnaires en ligne pour aider les enfants à découvrir l’immunisation, le biais cognitif, la différence entre corrélation et causalité, la méthode scientifique, ainsi que plusieurs vaccins, dont ceux contre la COVID-19.

Que peuvent faire les professionnels de santé?

Étant donné que les conseils et les recommandations des professionnels de santé en matière d’immunisation jouent beaucoup dans la décision d’un patient ou d’une personne du public d’accepter les vaccins, il faut absolument que tous les professionnels de santé connaissent à fond les risques des maladies évitables par la vaccination et l’innocuité et l’efficacité potentielle des vaccins pour bien conseiller leurs patients (15). C’est particulièrement important pour la COVID-19 et les vaccins contre la COVID-19 avec l’infodémie qui fait rage. Pour inspirer confiance, les professionnels de santé doivent présenter ces vaccins en faisant montre de compétence et de prévenance, et se rappeler que certaines personnes ne veulent qu’une « bouchée » d’information, mais que d’autres en veulent une « collation » ou même tout un « repas ». Des techniques comme le langage clair, la formulation positive et l’entretien motivationnel se sont avérées utiles. La clé, en cette période de surdose d’informations, est de mettre les patients en garde contre le pouvoir de la désinformation et de leur apprendre à flairer l’arnaque. L’infographie de l’Organisation mondiale de la santé qui donne des conseils pour aplatir la courbe de l’infodémie, le jeu Bad News du Royaume-Uni et les jeux canadiens que nous avons mentionnés, comme It’s Contagious!, sont de bons outils à suggérer aux patients. Les professionnels de santé doivent aussi parler franchement dans les réunions familiales ou sociales lorsque de la mésinformation et de la désinformation sont promulguées, car en se taisant, ils envoient le message qu’eux, les professionnels de santé, sont d’accord avec ces fausses informations. Enfin, l’attitude des professionnels de santé à l’égard des vaccins contre la COVID-19 peut, elle aussi, être négativement influencée par la mésinformation ou la désinformation. Vu leur rôle pivot dans l’établissement et le maintien de l’acceptation des vaccins par les patients, des stratégies adaptées (« bouchées », « collations » et « repas ») sont aussi des outils essentiels à utiliser par les autorités de santé publique et des soins de santé pour informer les professionnels de santé et aborder leurs motifs de préoccupation. L’esprit critique est une compétence sur laquelle il faut insister.

En résumé, la pandémie de COVID-19 n’est pas près de disparaître. Les professionnels de santé publique et de santé doivent agir en amont et être prêts à anticiper les besoins et les inquiétudes, à écouter, et à réviser les stratégies et le contenu de leurs communications quand de nouvelles données deviennent disponibles. Il faut faire attention aux changements de contexte, qui peuvent modifier la façon dont les messages sont interprétés par les patients et les pairs. Et il faut se rappeler qu’en adaptant les communications aux besoins, aux préoccupations, et au niveau et à la quantité d’informations nécessaires – « bouchées », « collations » et « repas » – on contribue à combattre l’infodémie, à favoriser la culture scientifique sur la COVID-19 et à renforcer l’acceptation des vaccins contre la COVID-19. 
 


Références
  1. Lockdowns and the COVID-19 pandemic: What is the endgame? Lytras T, Tsiodras S. 2021, Scandinavian Journal of Public Health, Vol. 49, pp. 37-40.
  2. Improving COVID-19 vaccine acceptance: Including insights from human decision making under conditions of uncertainty and human-centered design. Poland C, Matthews AKS, Poland GA. 2021, Vaccine. 
  3. COVID-19 Vaccine: Critical Questions with Complicated Answers. Haidere MF, Ratan ZA, Nowroz S, Zaman SB, Jung YJ, Hosseinzadeh H, Cho JY. 1, 2021, Biomol Ther (Seoul)., Vol. 29, pp. 1-10.
  4. Ad hoc WHO Technical Consultation. Managing the COVID-19 Infodemic: a Call to Action. Geneva:World Health Organization, 2020.
  5. UNICEF. Vaccine Misinformation Field Guide. Guidance for addressing a global infodemic and fostering demand for immunization. New York: UNICEF, 2020.
  6. Science audiences, misinformation and fake news. Scheufele DA, Krause NM. 15, 2019, Proc Natl Acad Sci U S A, Vol. 116, pp. 7662-7669.
  7. Vaccine Hesitancy: Definition, scope and determinants. MacDonald NE and SAGE Working Group on Vaccine Hesitancy. 2015, Vaccine, Vol. 33, pp. 4161-4.
  8. Conspiracy theories as part of history: The role of societal crisis situations. van Prooijen J-W, Douglas KM. 3, 2017, Memory Studies, Vol. 10, pp. 323-333.
  9. Lewandowsky S, Cook J, Schmid P, Holford DL, Finn A, Leask J, Thomson A, Lombardi D et al. The COVID-19 Vaccine Communication Handbook. A practical guide for improving vaccine communication and fighting misinformation. 2021.
  10. Lewandowsky, S., Cook, J., Ecker, U. K. H., Albarracín, D., Amazeen, M. A., Kendeou, P., Lombardi, D. et al. The Debunking Handbook 2020. 2020.
  11. Inoculating against misinformation. van der Linden S, Maibach E, Cook J, Leiserowitz A, Lewandowsky S. 6367, Dec 1, 2017, Science, Vol. 358, pp. 1141-1142.
  12. Effective strategies for rebutting science denialism in public discussions. Schmid P, Betsch C. 2019, Nature Human Behaviour, Vol. 3, pp. 931-939.
  13. Inoculating Against Fake News about COVID-19. van der Linden S, Roozenbeek J, ComptonJ. 2020, Frontiers in Psychology, Vol. 11, p. 566790.
  14. Good News about Bad News: Gamified Inoculation Boosts Confidence and Cognitive Immunity Against Fake News. Basol M, Roozenbeek J, van der Linden S. 1, 2020, J Cogn, Vol. 3, p. 2.
  15. Unpacking Vaccine Hesitancy Among Healthcare Providers. MacDonald NE, Dubé E. 2015, EBioMedcicine, Vol. 2, pp. 792-793.